L’impact du COVID-19 sur la population carcérale : un choc massif mais très hétérogène

Le début de la pandémie de Covid-19 a fortement impacté les prisons françaises. Elles ont dû s’adapter très rapidement à une situation potentiellement explosive d’un point de vue sanitaire, avec un risque élevé de contamination en milieu fermé pour les détenus et les personnels pénitentiaires. L’Administration a donc interrompu pendant un temps les parloirs et stoppé l’essentiel des activités hors de cellule, rendant le quotidien très difficile à vivre pour les détenus.

Mais la réaction la plus forte pendant la première vague de l’épidemie est probablement venue des tribunaux et des magistrats : les décisions de libérations anticipées et le ralentissement forcé de l’activité des juridictions ont produit une réduction de la population carcérale de 13 000 détenus entre mars et juin 2020, un choc historique de -20%. Depuis, la population carcérale rebondit à un rythme très élevé, et plusieurs dizaines de prisons comptent déjà plus de détenus qu’avant la crise.

Le choc en V du Covid-19 sur la population carcérale

  • Alors que la population carcérale était assez stable dans les mois précédents la crise du Covid, la situation a radicalement changé à partir du mois de mars 2020, début du premier confinement.
  • Entre mars et juin 2020, le nombre de détenus a baissé de près de 13 300 détenus, soit une chute historique de -20% par rapport au niveau du 1er mars 2020. L'explication vient pour moitié du fort ralentissement des entrées en prison et pour l'autre moitié de la forte accélération des libérations.
  • Depuis le point bas de juin 2020 (58 000 détenus), la population carcérale repart très fortement à la hausse : en seulement un an, le nombre de détenus avait déjà augmenté de plus de 8 500 détenus (66 591 détenus au 1er juin 2021). Au 1er août 2021, la population carcérale dépasse le seuil des 68 000 détenus (+10 192 en 14 mois).
  • Chaque mois depuis le point bas de juin 2020, la population augmente en moyenne de 728 détenus supplémentaires, soit l'équivalent d'un grand Centre Pénitentiaire rempli par mois. En 14 mois seulement, les prisons françaises ont donc déjà rempli 85% des places qui avaient été libérées lors de la première vague de l'épidémie.

Auditionné en juin 2021 par l'Assemblée Nationale, le Directeur de l'Administration Pénitentiaire Laurent Ridel a déclaré qu'il était "inquiet quant à la remontée des effectifs" depuis juin 2020 et précise : "sur la question du surencombrement, j'espère que tout le monde sera raisonnable dans la période actuelle et que l'on ne va pas être submergés de détenus." (audition de L. Ridel, le 23 juin 2021, 3h31min)

Première vague : Des variations différentes d'une prison à l'autre

Le COVID-19 a entrainé une diminution globale de la population carcérale, de l'ordre de 20% dans les 3 premiers mois entre mars et juin 2020. Mais cette baisse moyenne cache de très grandes disparités entre types d'établissements, et également entre prisons de même type :

  • Entre types d'établissements, les baisses d'effectifs les plus massives (-20%, -30%, voire plus) ont été essentiellement observées dans les Maisons d'Arrêt (MA), dans les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM) et plus encore dans les Centres de Semi-Liberté (CSL). Les baisses sont beaucoup plus faibles dans les Centres de Détention (-8%) et minimes dans les Maisons Centrales. Ce constat peut s'expliquer assez mécaniquement puisque les MA, les EPM et les CSL accueillent essentiellement des détenus condamnés à de courtes peines ou en aménagement de peine pour leurs derniers mois de détention : dans ces prisons-là, les réductions supplémentaires de peine "spéciales Covid-19" ont donc entrainé des sorties massives. Les Maisons d'Arrêt accueillent aussi les prévenus, en attente de jugement ou encore dans les délais d'appel : or les flux de détentions provisoires et de mises à exécution de peines privatives de liberté ont diminué du fait de la baisse d'activité des juridictions, et dans une moindre mesure de la baisse de certaines formes de délinquance.
  • Entre prisons d'un même type, les disparités sont également très importantes, pour des raisons plus difficiles à expliquer. Dans les Maisons d'Arrêt, si la baisse moyenne des effectifs est de l'ordre de -22%, l'écart-type est de 13%, ce qui témoigne de disparités conséquentes d'une MA à l'autre. Dans les Centres de Semi-Liberté, les écarts sont colossaux puisque l'écart-type est de 32% : certains CSL se sont très largement vidés pendant la première vague du Covid-19 (baisse de plus de 50% des effectifs de semi-libres), contrairement à d'autres. Ces disparités au sein d'un même type de quartier témoignent de disparités pour les justiciables d'une prison à l'autre : or, on peine à expliquer ces différences de traitement par la situation épidémique locale des établissements ou par leur état de surpopulation initial, comme on le verra plus loin.

Chute lors de la première vague, rebond à l'identique ensuite ?

Le graphique ci-dessous compare la variation de la population carcérale de chaque quartier pénitentiaire observée entre janvier et juillet 2020 (première vague) avec la variation observée entre juillet 2020 et juin 2021 (l'après première vague). Plusieurs leçons peuvent en être tirées :

  • D'abord, il existe une grande disparité entre les différents établissements pénitentiaires à la fois dans la variation des effectifs au début d'année 2020 (axe horizontal), mais aussi dans la variation depuis la fin de la première vague (axe vertical). Globalement, la période après juillet 2020 a vu un rebond des effectifs dans la très grande majorité des prisons françaises, mais dans des proportions très variables selon les établissements : des établissements ont vu leurs effectifs augmenter de l'ordre de 20% à 30% entre juillet 2020 et juin 2021, d'autres ont vu leur population exploser (+100% à la MA de Tarbes, voire +400% pour le CSL de Fresnes), quand d'autres ont connu une diminution de leurs effectifs.
  • Une tendance négative entre les deux variations se dessine nettement : plus la diminution pendant la première vague a été importante, plus l'augmentation depuis est forte. Ce rattrapage très rapide est un sujet d'inquiétude pour l'Administration Pénitentiaire et son directeur Laurent Ridel (voir son audition à l'Assemblée Nationale, le 23 juin 2021, 3h31min).
  • Au 1er juin 2021, la grande majorité des établissements hébergent toujours moins de détenus qu'en janvier 2020, avant le début de l'épidémie de Covid. Sur le graphique, la plupart des prisons sont ainsi sous la courbe d'isopopulation (courbe grise). Mais 28% des quartiers pénitentiaires ont déjà dépassé leur effectif d'avant crise, et la plupart des autres sont proches du point de rattrapage.
  • Dans ces établissements, la crise du Covid n'aura donc permis qu'une réduction très temporaire des problèmes de surpopulation carcérale. Le risque est de voir de plus en plus de prisons franchir ce seuil dans les prochains mois. La remontée très rapide des effectifs fait craindre une aggravation de la surpopulation au niveau national par rapport à la situation d'avant crise dès la fin de l'année 2021.

                     Détail des hausses et des baisses d'effectifs par quartier pénitentiaire

Les évolutions récentes dans quelques prisons

  • A gauche, le graphique interactif présente l'évolution carcérale en période de Covid pour les 15 plus grands établissements pénitentiaires : la baisse brutale du nombre de détenus par quartier, puis le rebond amorcé dès le milieu de l'année 2020 sont particulièrement visibles.
  • A droite, le graphique se concentre sur les quartiers dont le nombre de détenus en juin 2021 dépasse le seuil de janvier 2020 : 62 quartiers pénitentiaires sont déjà dans cette situation, soit 28% des 225 quartiers existants. Le graphique se concentre sur les plus grandes prisons touchées par ce phénomène. Il est à noter que la maison d'arrêt de La Santé, comme le centre pénitentiaire des Baumettes, ont récemment été restaurés et reconstruits, ce qui explique la remontée en partie mécanique de leurs effectifs.

Les évolutions de la population carcérale sont-elles liées à la situation épidémique locale ?

Sur les cartes ci-dessus sont représentées les variations du nombre de détenus dans les maisons d'arrêt et la surmortalité liée à la première vague du Covid-19 dans les différents départements français. Les zones les plus gravement touchées par l'épidémie lors de la première vague en 2020 ne semblent pas avoir vu leur population carcérale diminuer plus que les autres. Ce constat est confirmé par le graphique ci-dessous, qui montre une absence de corrélation entre la surmortalité liée au Covid et la baisse de la population carcérale dans les différents départements. Autrement dit, les juridictions ne se sont pas particulièrement adaptées à leur situation épidémique locale pendant la première vague, en termes de recours à l'incarcération ou de libérations anticipées. D'autres logiques ont visiblement prévalu, conduisant à des disparités très fortes et difficilement explicables d'un département à l'autre.

Les prisons surpeuplées ont-elles vu leur population baisser plus que les autres ?

S'ils ne se sont pas particulièrement adaptés à la situation sanitaire locale, les magistrats auraient pu tenter de réduire la population carcérale dans les établissements qui étaient les plus surpeuplés au début de l'épidémie, pour éviter au maximum l'émergence de clusters. Pourtant, là encore, d'autres logiques semblent avoir prévalu et les établissements surpeuplés n'ont pas particulièrement bénéficié de baisses de leurs effectifs pour faire face aux risques de contamination.

Le graphique ci-contre projette les quartiers pénitentiaires en fonction de leur densité carcérale en janvier 2020 et de l'ampleur de la variation du nombre de détenus entre janvier et juillet 2020. Comme on le voit, une forte densité carcérale peut être associée avec une faible diminution du nombre de détenus (comme à Carcassonne) et des établissements moins touchés par la surpopulation carcérale enregistrent une forte diminution du nombre de détenus (comme Charleville-Mézières). Globalement, il n'y a qu'un lien statistique très faible entre surpopulation initiale et baisse des effectifs détenus pendant la première vague, malgré la nécessité sanitaire de s'adapter aux risques de contamination.

D'une prison à l'autre, des disparités très grandes qu'on peine à expliquer

Pour tenter de mieux comprendre les dynamiques de la population carcérale à l'œuvre pendant la première vague du Covid-19 dans les établissements pénitentiaires français, le tableau ci-contre propose les résultats d'une régression linéaire estimée par Moindres Carrés Ordinaires.

Elle permet de déterminer l'influence propre des variables explicatives précédemment citées, comme le niveau de densité carcérale initial et la taille de l'établissement avant le début de l'épidémie (janvier 2020), le type de quartier pénitentiaire, ou l'intensité locale de l'épidémie de Covid-19 (mesurée par l'indice départemental de surmortalité) de la crise sanitaire sur la variation de la population carcérale entre janvier et juillet 2020.

Les résultats confirment d'abord que les baisses d'effectifs les plus fortes ont été observées dans les CSL, les EPM et les MA, par opposition aux CD et aux MC. Ils montrent aussi qu'il n'existe qu'un lien très faible, quoique statistiquement significatif, entre la surpopulation initiale d'un quartier pénitentiaire et sa baisse d'effectifs pendant la première vague : en moyenne, une hausse de la densité de 1 (c'est-à-dire passer d'un quartier à 100% de ses capacités à un quartier à 200%) est seulement associée à une baisse supplémentaire de 0,095 de ses effectifs, soit à peine 10% de baisse supplémentaire. Enfin, la régression confirme l'absence de lien statistique, toutes choses égales par ailleurs, entre la baisse des effectifs et la surmortalité liée au Covid-19 dans les départements français.

Tout laisse donc à penser que ce ne sont pas vraiment les exigences sanitaires locales (en termes d'intensité de l'épidémie ou l'état de surpopulation des prisons) qui expliquent les baisses contrastées de la population carcérale dans les différentes prisons françaises.

Ce sont plutôt d'autres contingences locales - probablement liées aux choix d'organisation des chefs de juridiction et des chefs de parquet par exemple - qui ont amené à d'énormes écarts dans la réaction des juridictions françaises pendant la première vague de Covid-19. Ces choix ont finalement généré d'importantes disparités de traitement entre les justiciables, notamment les détenus, sur le territoire.

Pour aller plus loin

En France

Rapport du CGLPL dédié à la crise du Covid

Vidéo de Dalloz : point sur la diminution de la population carcérale au début de la crise du Covid-19

A l'étranger

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