Dernière mise à jour : juillet 2023

Le travail en détention : une offre insuffisante, inégale et peu utile à la réinsertion

Le travail en détention offre de nombreux avantages : il permet d'abord aux détenus d'obtenir des revenus pour cantiner (achat de biens et services en prison), dédommager les parties civiles, voire épargner en vue de leur libération. Le travail permet aussi d'occuper les journées de détention, en sortant de sa cellule. Pour l'Administration Pénitentiaire, de telles activités permettent ainsi de réduire les tensions entre codétenus et avec les personnels, et donc de mieux gérer la détention.

Mais alors qu'il s'agit depuis 2017 d'une priorité du Ministère de la Justice, les postes manquent cruellement dans la plupart des prisons françaises. Moins d'un tiers des détenus ont accès à un travail, pour des temps de travail limités, des rémunérations très faibles, et des tâches généralement non-qualifiées. 

Les disparités sur le territoire sont par ailleurs très grandes et sources d'inégalités majeures entre détenus.

Combien de détenus travaillent en prison ?

En 2020, le travail pénitentiaire concerne près de 20 000 détenus, soit de l'ordre de 28% de la population carcérale. Ce taux est inférieur de près de 8 points au niveau record obtenu en 2001 (36% de détenus travailleurs).  

Le travail pénitentiaire peut prendre trois formes : 

En se concentrant sur le travail en atelier à l'aide des données de la plateforme IPRO 360°, on peut estimer la part des différents types d'activité de production dans les prisons françaises.

Pour chaque atelier, la plateforme renseigne en effet des informations sur le type de production qui y est effectué, informant indirectement sur le type de travaux confiés aux détenus.

Les graphiques ci-contre montrent la prépondérance des tâches de préparation et conditionnement, en particulier en Maison d'Arrêt et en Centre Pénitentiaire. Les productions en atelier sont un peu plus diversifiées en Centre de Détention et en Maison Centrale. 

On remarque que l'essentiel des activités se concentre dans des tâches peu qualifiantes, répétitives et souvent éloignées des besoins du marché du travail à l'extérieur.

Face à ce constat, l'ATIGIP, l'agence en charge du travail au sein de l'Administration Pénitentiaire, cherche ces dernières années à améliorer le type de postes qui sont proposés en détention en diversifiant les types de structures et les secteurs d'activité.

Pourquoi travailler ?

Bien que le travail pénitentiaire puisse préparer les détenus à leur réinsertion, l'accès au travail en détention revêt principalement un enjeu économique immédiat pour les détenus :  pour une part significative d'entre eux, le travail pénitentiaire est le seul moyen de lutter contre la pauvreté et d'avoir des ressources pour cantiner (achats de biens et services en prison). 

Selon une enquête récente d'Emmaüs et du Secours Catholique auprès de 1200 détenus, 16% d'entre eux n’ont aucune ressource financière à leur entrée, et 31% des détenus perçoivent l’aide mensuelle de 20€ versée par l’Administration Pénitentiaire (on parle de détenus "indigents"). Le travail en atelier ou au service général constitue donc bien l'un des seuls moyens de pouvoir améliorer sa situation matérielle en détention. Le statut d'indigence est d'ailleurs un critère prioritaire d'accès aux postes de travail en détention.

Ce constat est confirmé par l'analyse statistique des saisines envoyées par les détenus au Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL).

Chaque année, environ 7% des saisines envoyées au CGLPL concernent le travail (soit de l'ordre de 200 saisines par an).

Les principaux motifs d'insatisfaction exprimés par les détenus dans leurs saisines portent sur : 

Les autres motifs de saisines en matière de travail pénitentiaire sont beaucoup plus résiduels.

« A la base nous sommes sans ressources financières et souhaitons, par le biais de ce travail, pouvoir cantiner. [...] 

Nos relances n’aboutissent pas et nous avons besoin d’argent urgemment » 

Extrait de la saisine 17-50-10 envoyée en 2021 au CGLPL


La consommation en détention via la cantine est double de sens pour les détenus

Les disparités massives dans l'accès au travail 

Le Ministère de la Justice ne diffuse pas de statistiques sur la répartition des détenus travailleurs à l'échelle de chaque établissement ou type d'établissement. Cependant, on peut prendre la mesure des disparités dans l'accès au travail d'une prison à l'autre à l'aide de deux sources : les rapports de visite du CGLPL et la plateforme IPRO360° lancée par l'Agence pour le Travail d'Intérêt Général et l'Insertion Professionnelle (ATIGIP). Nous mobilisons ici ces deux sources.

Les rapports de visite des établissements par le CGLPL sont une source précieuse d'informations sur le travail pénitentiaire et ses disparités d'une prison à l'autre. En 2018, l'ancien Contrôleur général Jean-Marie Delarue a résumé les taux de classement au travail (part des détenus qui travaillent ou sont sur liste d'attente) récoltés dans 43 prisons visitées par ses services entre 2008 et 2014. 

En retravaillant ces statistiques, on mesure les très grandes inégalités d'accès au travail entre types d'établissement (MA, CD et MC), mais également au sein d'un même type d'établissement sur le territoire.

Des surfaces d'ateliers inégalement réparties


Une deuxième source plus actuelle correspond aux données sur la présence d'ateliers de production en prison. Ces données datant de début 2022 sont mises en ligne par l'ATIGIP sur sa plateforme IPRO 360° afin de promouvoir ses lieux de production en détention auprès d'entreprises privées.

D'après ces données, seuls 35% des prisons françaises disposent d'espace disponible pour accueillir de nouveaux ateliers. Ces 65 établissements sont représentés en vert sur la carte ci-contre. 

22% des établissements ne dispose d'aucun atelier, si bien que la seule source de travail pour les détenus correspond au service général. En général, ce sont plutôt des petits établissements (capacité théorique faible). 

Au total, d'après les données d'IPRO 360°, les ateliers en détention représentent une surface de 187 056 m². En moyenne, cela revient à environ 2,6 m² par détenu. Mais de grandes disparités existent là encore dans cette surface par détenu.


Le graphique ci-dessous montre ainsi que la surface d'atelier par détenu est presque 10x plus grande dans les Maisons Centrales que dans les Maisons d'Arrêt. 

Le tableau de statistiques permet de préciser l'analyse : en rapportant les valeurs minimales, maximales, et les écart-types par type d'établissement, on découvre que les disparités dans la surface d'ateliers par détenu sont grandes. En Maison d'Arrêt, l'écart-type séparant deux prisons prises au hasard est plus grand que la surface moyenne, témoignant d'importants écarts dans l'accès au travail y compris entre personnes détenues dans un même type d'établissement.

Analyse économétrique de la surface d'atelier par détenu

Pour comprendre plus précisément les disparités entre prisons dans la surface d'atelier disponible (en m2 par détenu), on peut recourir à une régression économétrique via un modèle de censure (Tobit) car un certain nombre d'établissements ne disposent d'aucun atelier (le travail y est alors réduit au service général).

Les variables explicatives testées renvoient au type d'établissement (MA, CP, MC, comparés aux CD), au nombre de détenus dans l'établissement et à la densité carcérale, à l'année de construction de la prison, et au fait qu'elle soit gérée en gestion déléguée (et non en gestion 100% publique). Les entreprises gestionnaires ont alors pour obligation contractuelle de favoriser le travail des détenus. 

Les résultats économétriques confirment d'abord les grandes disparités existant dans l'accès aux ateliers d'un type d'établissement à l'autre : comparé aux Centres de Détentions, l'accès aux ateliers est très réduits dans les MA et les CP, et au contraire très élevé dans les Maisons Centrales (avec près d'1 m2 en plus par détenu, toutes choses égales par ailleurs). 

Les résultats montrent aussi qu'en moyenne, les établissements les plus grands (en termes de nombre de détenus) sont proportionnellement mieux dotés en atelier, ce qui renvoie aux choix architecturaux opérés par l'APIJ et l'Administration Pénitentiaire. 

Plus surprenant, il n'existe aucun lien statistique toutes choses égales par ailleurs entre la surface d'atelier et l'année de construction des établissements (on aurait pu penser que les établissements plus récents seraient mieux dotés), ni avec le fait qu'une prison soit en gestion déléguée (malgré les objectifs à remplir pour l'entreprise gestionnaire en termes d'accès au travail). 

Compte tenu de l'importance de disposer de ressources financières en détention pour cantiner  donc améliorer son quotidien en achetant soi-même des biens et services (et éviter d'être redevable d'autres détenus par exemple), pour rembourser les parties civiles et pour préparer sa libération, ces disparités massives dans l'accès à un travail d'une prison à l'autre sont une source majeure d'inégalités entre détenus sur le territoire.

Temps de travail réduits et rémunérations très faibles

Le travail pénitentiaire représente chaque année une masse salariale de l'ordre de 65 millions d'euros. Répartis sur les 19 200 détenus qui travaillent en moyenne, cela correspond grosso modo à des revenus mensuels moyens de 280€ par mois et par détenu-travailleur (en négligeant les charges, très allégées en prison)

Mais des écarts importants existent selon le type d'employeur en détention : les postes au service général sont généralement les plus mal rémunérés (de l'ordre de 2€ de l'heure) et ceux pour la régie publique sont les mieux payés (environ 5€ de l'heure).

Les faibles revenus mensuels tirés du travail pénitentiaires s'expliquent par la combinaison de deux facteurs : 

Taux horaire et temps de travail moyen en 2017

Source : article de Monnery, Montagutelli et Souam (2021), à partir des rapports de la Cour des Comptes (2006, 2011) et du rapport du député Mazars (2021)

Délais pour accéder à l'emploi : quelles disparités entre détenus ?

Les délais entre l'arrivée d'un détenu dans une prison et son accès à l'emploi pénitentiaire sont très variables. La Direction de l'Administration Pénitentiaire a produit en novembre 2022 la première étude statistique sur le sujet, sur une cohorte de 5521 détenus entrés en détention en janvier 2019 et suivie pendant 3 ans.

Sur cette cohorte étudiée par la DAP, seuls 1760 détenus (32%) ont travaillé en détention et reçu au moins une fois une rémunération pendant leur incarcération. Cela confirme la rareté des postes de travail.

Part des détenus ayant travaillé au fil des mois

La probabilité d'accéder à un emploi pénitentiaire varie d'un détenu à l'autre, à la fois parce que tous les détenus ne sont pas volontaires mais surtout parce que le chef d'établissement et l'employeur décident ensuite des candidats qui seront effectivement classés et recrutés. L'étude statistique de la DAP analyse les déterminants individuels de l'accès à l'emploi grâce à une régression logistique.

Quels effets du travail sur la récidive ?

Le travail pénitentiaire étant aujourd'hui très souvent limité à des postes peu voire pas qualifiés, sur des tâches répétitives (pliage, collage, nettoyage, etc.), on peut craindre que ses effets bénéfiques en termes de réinsertion et donc de lutte contre la récidive soient assez faibles en France. Mais jusqu'à très récemment, il n'existait aucune étude statistique en France pour le vérifier. 

Ces résultats très encourageants sur les effets du travail pénitentiaire en matière de prévention de la récidive militent pour une augmentation très sensible des efforts budgétaires consacrés par l'Etat français à ces activités qui bénéficient non seulement aux détenus mais aussi à la société toute entière. Ils suggèrent aussi que des résultats encore plus positifs pourraient être obtenus en détention si les postes proposés étaient plus adaptés aux attentes du marché de l'emploi à l'extérieur (métiers plus qualifiés et plus orientés vers le secteur tertiaire notamment).

La vidéo ci-contre propose un bilan sur le sujet et les limites de la  réforme récente du travail pénitentiaire.

Pour aller plus loin

Bibliographie 

En France 

Monnery, B., Montagutelli, A. et Souam, S. (2021) : Economie du travail pénitentiaire : enjeux, constats et recommandations

Cet article passe en revue les principaux faits stylisés sur le travail pénitentiaire, ses enjeux, et les résultats de la recherche international sur les liens entre travail pénitentiaire et récidive. Il en tire des recommandations de politique publique axées sur la quantité et la qualité des postes offerts en prison.

Talina, E. (2023) :  Droit du travail en détention - Entre impossible contrat de travail et difficile appropriation du droit par les détenus, mémoire de Master 1 à l'ENS Paris-Saclay, sous la direction de B. Monnery

Ce mémoire procède notamment à une analyse quantitative et qualitative des saisines adressées par les détenus au CGLPL sur la période 2012-2021 en matière de travail pénitentiaire.

Cette étude de novembre 2022 est produite par le bureau statistique de l'Administration Pénitentiaire. Elle propose la première analyse statistique du délai entre l'incarcération des détenus et leur accès à un premier emploi en détention, à partir de la cohorte des personnes entrées en prison en janvier 2019.

Cette étude Infostat de juillet 2021 produite par la SDSE du Ministère de la Justice propose la première analyse économétrique de l'influence du travail pénitentiaire sur la récidive en France, en contrôlant pour une longue série de caractéristiques individuelles des détenus.

 L'article revient sur la faible proportion de détenus pouvant bénéficier du travail en prison, et les projets de l'Administration Pénitentiaire pour changer la donne.

L'article s'interroge en particulier sur la nature du travail exercé par les détenus en France. 

A l'étranger

Cette étude porte sur des données italiennes. Elle montre pour la première fois de manière très convaincante les effets moyens bénéfiques du travail pénitentiaire, mais aussi l'hétérogénéité de cet effet en fonction du profil des détenus concernés.