Dernière mise à jour : juillet 2023
Evaluer et contrôler les établissements pénitentiaires
En prison, les détenus conservent l'ensemble de leurs droits fondamentaux (droit à la santé, droits familiaux ou encore liberté religieuse). Mais dans les faits, ces droits ne sont parfois pas respectés. Pour limiter ces atteintes au droit, le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) visite régulièrement les établissement pénitentiaires, reçoit des saisines des détenus ou de leurs proches, et formule des recommandations pour améliorer les conditions de détention.
Les établissements pénitentiaires peuvent également être condamnés, par la justice française comme par la justice européenne, lorsqu'ils portent atteinte à la dignité ou aux droits fondamentaux d'un détenu.
Enfin, depuis fin 2021, les détenus disposent d'un nouveau recours légal contre l'indignité de leurs conditions de détention (auprès du JLD ou du JAP), à charge ensuite pour l'Administration Pénitentiaire de faire cesser l'atteinte ou de transférer le détenu.
L'auto-évaluation par les directeurs de prison
Avant d'évoquer les contrôles externes du CGLPL et les décisions rendues par la justice en matière de respect des droits des détenus, une source interne est particulièrement intéressante au sujet des conditions de détention : il s'agit d'une enquête de mars 2011 menée par le Syndicat National des Directeurs Pénitentiaires (SNDP) auprès des directeurs ou adjoints d'établissements pénitentiaires. Le syndicat a reçu 56 réponses (sur 400 envois) de directeurs de différents types d'établissements pénitentiaires.
La première partie de l'enquête s'intitule "Regard porté sur les conditions de détention et la politique d'insertion et de lutte contre la récidive". La note moyenne sur 10 donnée par les directeurs d'établissements pénitentiaires lorsqu'ils sont interrogés sur les conditions de détention au sein de leur propre établissement s'élève à 4.5/10. Aucun directeur ne donne une note supérieure à 8/10 à son propre établissement, et un tiers d'entre eux attribuent une note médiocre de 2/10 ou 3/10.
Les directeurs de prison sont donc eux-mêmes assez sévères quant à la qualité des conditions de détention auxquelles sont confrontés les détenus dans leurs établissements. Ils sont également très sévères au sujet des efforts au service de la prévention de la récidive déployés par l'Administration Pénitentiaire : la note moyenne est de 3,5/10 à cette question. Au sujet de la cohérence des politiques pénitentiaires et d'exécution des peines, ils attribuent une note moyenne de 3,8/10.
La critique des prisons françaises et de l'Administration Pénitentiaire vient donc d'abord de l'intérieur, de la part de ses cadres notamment. Mais la critique s'exerce aussi désormais de plus en plus de l'extérieur, sous le regard de la justice et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL).
Le contrôle des conditions de détention par le CGLPL
Depuis 2007, le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) veille à l'application et au respect des droits fondamentaux. Il constitue une autorité indépendante et peut visiter à tout moment les lieux où des individus sont privés de leur liberté. Cela concerne notamment certains établissements médicaux (lorsque des patients sont hospitalisés sans leur consentement), des locaux de garde à vue au sein des commissariats et des gendarmeries, ou encore des geôles de tribunaux.
Mais cette activité de contrôle concerne surtout les quelque 187 établissements pénitentiaires du territoire, soit à travers des visites de ses contrôleurs, soit en recueillant les saisines des personnes détenues, de leurs avocats ou de leurs proches. Le CGLPL est, du fait de sa mission, particulièrement attentif aux conditions de vie pendant la détention.
Saisir le contrôleur général
Toute personne physique peut saisir le contrôleur général. Des associations, le gouvernement, ou des parlementaires peuvent également effectuer la démarche. Le contrôleur général peut aussi s'auto-saisir.
Le contrôleur général est saisi pour toute situation qui semble compromettre les droits fondamentaux dans un contexte de privation de liberté.
On compte chaque année près de 3000 saisines concernant des établissements pénitentiaires.
Les moyens d'action du contrôleur général
Le contrôleur général peut visiter un lieu de privation de liberté à tout moment (jour comme nuit) et sans devoir prévenir l'établissement concerné. En prison, il peut accéder à l'ensemble de l'établissement et s'entretenir avec tout détenu, en assurant la confidentialité de l'échange. A l'issue d'une visite, le contrôleur général remet aux ministres concernés un rapport et adresse des recommandations. Il peut également adresser des recommandations d'urgence.
Les visites d'établissement par le CGLPL
La maison d'arrêt de Draguignan n'a pas encore été visitée par le Contrôleur Général, car elle a ouvert ses portes récemment, en janvier 2018.
Très peu de prisons n'ont pas encore été visitées par le CGLPL : il s'agit d'établissements construits très récemment qui n'ont pas encore fait l'objet d'un contrôle. Les autres établissements sont concernés par une ou deux visites. Les établissements visités trois fois ou plus sont assez rares.
Une régression par Moindres Carrés Ordinaire permet de mieux comprendre les choix de visites du contrôleur général. La variable à expliquer correspond au nombre de visites du CGLPL depuis la création de cette instance, ou depuis l'ouverture de l'établissement s'il s'agit d'une prison récente (le nombre de visite est alors corrigé pour en tenir compte).
Dans le modèle sont testées plusieurs variables explicatives des choix du CGLPL : la date de construction de l'établissement (pour savoir si des établissements plus anciens sont susceptibles d'être plus contrôlés du fait de leur vétusté), le nombre de détenus (pour savoir si les établissement plus peuplés sont plus surveillés par le contrôleur) ainsi que le type d'établissement pénitentiaire.
Il apparait que les établissement pénitentiaires les plus visités par le contrôleur sont les établissements pour mineurs (EPM) ainsi que les maisons centrales. Dans la régression, les EPM voient ainsi en moyenne et toutes choses égales par ailleurs leur nombre de visites augmenter de 1.7 par rapport aux centres de détention (+0.5 pour les maisons centrales). Le contrôleur général accorde donc une vigilance renforcée à l'incarcération des mineurs, et aux lieux d'incarcérations les plus longues et sécurisées.
Le nombre de détenus semble également avoir une légère influence dans le choix des visites du contrôleur général : les prisons les plus grosses sont légèrement plus visitées, toutes choses égales par ailleurs.
Les saisines du CGLPL par les détenus
Selon les données recueillies par le CGLPL, l'institution est saisie environ 2500 fois par an ces dernières années ce qui, rapporté aux 187 prisons françaises, correspond à une moyenne de l'ordre d'un courrier reçu par mois et par prison. Ce volume de saisines a cependant nettement baissé depuis les premiers recensements de l'année 2012 (près de 3800 saisines).
Si toutes les saisines font l'objet d'une réponse individuelle de la part du CGLPL, seule une minorité aboutit à l'ouverture d'une enquête de la part du Contrôleur (quelques centaines chaque année), généralement pour demander des informations et d'éventuelles corrections à l'Administration Pénitentiaire.
La très grande majorité des saisines (74%) sont le fait des détenus eux-mêmes, mais parfois ce sont leur avocat ou leur famille qui interviennent auprès du CGLPL.
Les saisines concernent des motifs très variés tels que le travail en détention (environ 7% des saisines), l'accès aux soins (5%), les violences ou relations conflictuelles (5%), mais aussi les conditions matérielles de détention, les correspondances et les droits de visite, les demandes de transfert, etc.
Les détenues femmes ont une propension à saisir le CGLPL plus de deux fois supérieure à celle des hommes. Plusieurs hypothèses peuvent ici être avancées : d'abord, les femmes qui sont incarcérées le sont généralement pour des peines plus longues que les hommes (car l'incarcération des femmes n'est réservée qu'aux affaires les plus graves, les alternatives aux poursuites et à la prison étant nettement privilégiées par les magistrats). Or c’est surtout au cours de peines de durée moyenne à longue que les détenus saisissent le CGLPL. De plus, les femmes détenues sont généralement mieux éduquées que leurs homologues masculins (moins d'illettrisme) ce qui réduit les obstacles à la saisine du Contrôleur.
Quelles prisons présentent les taux de saisine les plus élevés ?
Le taux de saisines varie beaucoup d'un type d'établissement à l'autre.
Dans les Maisons Centrales (MC), le taux de saisine dépasse chaque année les 100 saisines pour 1000 détenus, ce qui suggère que plus de 10% des détenus en MC saisissent le Contrôleur dans l'année. C'est dans ces établissements pour longue peine que l'on retrouve le plus fréquemment les détenus dits "procéduriers", qui connaissent bien le droit et n'hésitent pas à le mobiliser.
Les taux de saisines sont au moins deux fois plus faibles dans les autres types d'établissement, y compris les Centres de Détention (CD), et sont encore bien moindres dans les Maisons d'Arrêt (MA) où sont hébergés les prévenus et les courtes peines. Le taux de saisine est inférieur à 30 saisines pour 1000 détenus en MA, soit environ 3% des détenus, et encore plus faible dans les établissements pour mineurs (EPM).
Certaines prisons génèrent un très grand nombre de saisines auprès du CGLPL ces dernières années, comme le montre le graphique ci-dessus. Il s'agit souvent de Maisons Centrales (MC) comme Clairvaux, Arles ou Saint-Maur, ou bien de Centres Pénitentiaires (CP) comprenant des quartiers maison centrale (QMC) comme à Château-Thierry, Condé-sur-Sarthe ou Vendin-le-Vieil par exemple : certaines années, ces prisons peuvent être à l'origine de 30 voire 50 saisines pour 100 détenus, dix fois plus que le taux moyen dans les prisons françaises proche de 3%.
Cette surabondance de saisines dans les MC et QMC peut s'expliquer de plusieurs manières :
des détenus généralement incarcérés pour de longues peines, d'où un plus grand intérêt à se plaindre de conditions jugées problématiques ;
des conditions de détention très sécuritaires et contraignantes, qui peuvent générer frustrations et conflits ;
des profils de détenus différents des autres établissements, plus âgés, avec une meilleure connaissance du droit et plus "procéduriers", mais aussi relevant plus fréquemment de la grande criminalité et nécessitant un plus grand contrôle de la part de l'Administration Pénitentiaire.
Pourquoi et comment saisir le CGLPL ? Paroles de détenus
« [...] j'estime que l’administration doit être en mesure d’apporter une réponse adaptée aux demandes d’emplois des détenus, soit en leur proposant une activité en production ou au service général, soit en formation [...] Le travail est un outil de réinsertion et de préparation au retour du détenu dans la société. Article D 432-3 alinéa 2 du Code de procédure pénale : “Dans la mesure du possible, le travail de chaque détenu est choisi en fonction non seulement de ses capacités physiques et intellectuelles, mais encore de l'influence que ce travail peut exercer sur les perspectives de sa réinsertion. Il est aussi tenu compte de sa situation familiale et de l'existence de parties civiles à indemniser.” [...] »
Extrait de la saisine 05 21 04
« On ma dit écris au controleur général j’ai dit non mais la se n’et plus possible donc je me suis mis a vous écrire en espérent que le climat quil veule instaurer sois stoper »
Extrait de la saisine 14 27 50
En analysant des saisines écrites ces dernières années au CGLPL (après anonymisation), on peut mieux comprendre les raisons qui poussent les détenus à saisir le Contrôleur ainsi que l'appropriation inégale de leurs droits. Quelle qu'elle soit, cette appropriation du droit par les personnes incarcérées est souvent contrebalancée par un sentiment d’illégitimité à saisir le droit : les détenus commencent souvent leurs saisines par se justifier, arguant de leur bonne foi, de leur bon comportement, ou d'une injustice manifeste, qui les contraint en dernier recours à contacter le Contrôleur.
Dans les saisines, le renvoi aux règles juridiques et normatives se fait en effet majoritairement de deux façons : soit à travers une référence directe et explicite aux textes, soit à travers une référence à des grands principes fondateurs, à « l’esprit » des lois.
Ces deux types de références dans les saisines correspondent à deux profil-types de détenus :
La figure du détenu « procédurier », qui affirme ses droits avec conviction et en s'appuyant directement sur les textes de droit. Ces détenus s’adressent parfois à la Contrôleuse Générale en son nom propre et utilisent des formules rhétoriques permettant des niveaux d’abstraction plus importants. Au-delà d’une situation propre au détenu, bien caractérisée via des pièces-jointes faisant office de preuves, les courriers dits procéduriers mettent en avant une contestation globale de l’ordre carcéral. Leurs saisines ne pointent pas seulement leur cas individuel mais mettent plutôt en avant une difficulté systémique en violation des textes.
La figure du détenu « pragmatique » dont la saisine du CGLPL répond à des impératifs personnels, quotidiens, internes à la détention. Cet idéal-type regroupe des saisines ne faisant pas référence au droit de manière concrète et textuelle, mais opposant des principes de ce qui seraient de bonnes conditions de détention. Ces saisines témoignent des difficultés quotidiennes en détention – par exemple, l’accès à l’emploi pénitentiaire -, sans se référer explicitement à des textes. L’affirmation d’une légitimité en tant que sujet de droit se fait autour de la notion de dignité et d’égalité. Le CGLPL apparaît comme une instance de dernier recours.
Quand la justice condamne les établissements pénitentiaires...
Un détenu peut saisir la justice française (le tribunal administratif) et européenne (la Cour Européenne des Droits de l'Homme) s'il estime que ses conditions de détention sont inhumaines ou dégradantes. L'Etat français peut alors être condamné à verser des indemnités au détenu. Selon l'Observatoire International des Prisons, plus de quarante établissements français différents ont déjà été condamnés par la justice pour conditions de détention indignes.
La carte ci-contre fait état des établissements pénitentiaires de France métropolitaine déjà condamnés par la justice française ou par la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH).
Les motifs de la condamnation sont liés aux mauvaises conditions de détention :
À Amiens, en 2010, un détenu handicapé ne pouvait pas se déplacer au sein de l'établissement pénitentiaire.
À Coutances, en 2016, un détenu était incarcéré avec neuf autres détenus dans une même cellule.
À Clermont-Ferrand, établissement fermé en 2015, les toilettes n'étaient aucunement séparées du reste de la cellule, ce qui ne viole l'intimité des détenus.
Une analyse multivariée des facteurs de condamnation des prisons
Une régression logistique peut être effectuée pour tester l'influence de différentes caractéristiques des prisons sur la probabilité qu'un établissement soit condamné ou non par une instance française ou européenne. La variable expliquée du modèle est donc un indicateur binaire de condamnation, qui prend la valeur 1 en cas d'une condamnation (par la justice française ou européenne), et 0 sinon.
Les résultats ci-contre montrent notamment que la densité carcérale est corrélée au risque de condamnation d'un établissement : plus une prison est surpeuplée, plus elle aura en moyenne et toutes choses égales par ailleurs des risques d'être condamnée. De même, les établissement hébergeant plus de détenus sont plus exposés aux condamnations : cette relation est en partie mécanique (plus de détenus implique plus de contentieux potentiel) mais suggère aussi probablement que les établissements plus grands génèrent en moyenne des conditions de détention plus dégradées.
De même, les prisons les plus anciennes (construites avant 1950) sont plus exposées aux condamnations. Enfin, la probabilité d'être condamné est plus élevée pour les établissements pénitentiaires de la Direction Interrégionale de Lille (par rapport aux autres directions interrégionales), probablement du fait de certains avocats locaux spécialisés sur ce type de contentieux.
En revanche, il semble que le type d'établissement pénitentiaire n'ait pas d'influence significative, toutes choses égales par ailleurs, sur le risque de condamnation.
Pour aller plus loin
Bibliographie
En France
CGLPL : Liste des avis et des recommandations du Contôleur général des lieux de privation de liberté
Pour chaque établissement visité, le contrôleur général établit un rapport comprenant des recommandations d'amélioration ainsi que, si nécessaire, des recommandations d'urgence. Il liste également les bonnes pratiques au sein de l'établissement si elles existent.
A l'étranger
Le site internet est une plateforme digitale qui propose des informations sur les conditions de détention dans de nombreux pays du monde.